- RANKERS
- RANKERSLes rankers sont des sols à profil peu évolué ou peu différencié (type AC), généralement riches en matière organique, formés sur roches dures non calcaires. Ces sols se rencontrent surtout en montagne, de préférence sur les pentes assez fortes, en climat froid et humide. Le ranker type, de pente ou d’érosion, comporte un horizon très humifère, de faible épaisseur, reposant, par un contact brutal, sur une roche dure siliceuse. Par extension, on rattache aux rankers des sols à profil plus épais, uniformément noirs, développés en station horizontale ou faible pente sur des matériaux souvent meubles; dans ce cas, il existe un horizon d’altération (B), mais celui-ci est plus ou moins masqué par une accumulation de matière organique transformée ou évoluée par voie biochimique (rankers cryptopodzoliques).Origine du conceptLe terme ranker (W. L. Kubiena, 1953), d’origine germanique, fait allusion à la discontinuité qui existe souvent entre l’horizon humifère superficiel, très foncé, et la roche mère dure sous-jacente: dans certains cas, la couche humifère, feutrée par les racines, peut facilement se séparer du substratum et s’enrouler comme un tapis. En 1956, Franz a étendu l’emploi de ce concept à des sols plus profonds, plus évolués, dont l’origine s’explique par des caractères climatiques particuliers: climat très humide (ranker atlantique le long des côtes de l’océan Atlantique) ou montagnard (ranker subalpin ): pour ces derniers sols, l’uniformité du profil n’est qu’apparente; une étude de ces sols montre une redistribution de la matière organique et même de certains éléments minéraux (rankers cryptopodzoliques : R. Carbiener, 1963; P. Duchaufour et F. Jacquin, 1963; Carballas, 1982).Les diverses classifications des sols n’ont pas adopté la même attitude à l’égard des rankers cryptopodzoliques: les auteurs espagnols et portugais les rapprochent des rankers types, en raison de la ressemblance des profils (très foncés et humifères) et de la fréquence des types intermédiaires (Carballas, 1982). Mais les classifications les plus modernes, telles la W.R.B. (world reference base , 15e congrès international de la science des sols, Atapulco, 1994), rattachent les deux types de sol à deux classes différentes: l’une qui concerne les sols humifères peu évolués, présentant un contact brutal avec la roche – leptosols , umbrique et dystrique ; l’autre qui concerne les sols à évolution podzolique, en raison de la présence de l’horizon A1(B), comparable par sa teneur élevée en éléments amorphes, organiques et minéraux aux horizons dits «spodiques» qui caractérisent ces sols – podzols umbriques , podzols cambiques .Écologie et évolutionLes rankers types sont des sols de forte pente, qui caractérisent les montagnes à forte pluviosité; ils se rencontrent uniquement sur roches acides consolidées: granite, gneiss, micaschistes, grès. L’érosion interdit ici la formation d’un horizon (B) brun ou ocre, coloré par le fer, car l’altération ne progresse que lentement; mais elle n’empêche pas la formation d’un horizon humifère de surface, qui s’édifie rapidement. La végétation, en général «acidifiante» (forêt résineuse, lande à Éricacées), favorise la production de matière organique à décomposition lente: le type d’humus est en général un «moder» ou même un «mor» très acide. Il existe toutefois des exceptions: des rankers à «mull», dans lesquels l’humus est moins acide et biologiquement plus actif, prennent naissance localement lorsque la végétation est moins défavorable. Les rankers à mull, fréquents dans de telles formations, établissent une transition vers les sols bruns.Les rankers dits cryptopodzoliques sont très différents des rankers types. Ils s’observent en montagne, dans des étages forestiers (montagnard ou subalpin), mais dans des stations particulières: plateaux et sommets, où le développement de la forêt est gêné par l’action des vents violents ou par l’abondance des chutes de neige (ranker subalpin); on les trouve encore, à basse altitude, le long des zones côtières à climat particulièrement humide. Trois conditions écologiques sont nécessaires à leur développement: climat soit très humide, soit froid, soit les deux; roche mère relativement riche en minéraux altérables, des podzols véritables se développant au contraire sur roche quartzeuse; végétation non forestière à racines peu profondes. Ces deux derniers facteurs ont pour effet de freiner la migration des complexes organo-minéraux vers la profondeur et de rendre indistincte la limite entre les horizons de surface et les horizons d’accumulation (cryptopodzolisation).Principaux typesLe ranker de pente (ou d’érosion ) est le type décrit par Kubiena, caractérisé par un horizon A0-A1 très noir, fibreux, entrelacé de racines, englobant des fragments de roche ou d’arène et formé de matière organique incomplètement décomposée (moder ou mor). Cet horizon, très acide et pauvre en azote, repose directement sur la roche dure (cf. figure en a).Le ranker alpin est caractéristique de la pelouse alpine, située au-dessus de la limite de la végétation forestière dans les Alpes. En dehors des stations les plus humides et les plus froides (combes à neige), où l’acidification est forte, l’humification est plus active et le sol évolue souvent vers un sol brun superficiel (ranker brunifié); sous les taches d’Éricacées, au contraire, on note un début de podzolisation avec formation d’horizons A2 et B très superficiels (ranker podzolique, ou «podzol nain»).Le ranker cryptopodzolique (cf. figure en b) comporte deux variétés: le ranker subalpin des montagnes atlantiques très arrosées (altitude 1 200 à 1 500 m en France) et le ranker atlantique, de la Bretagne au Portugal. Le profil, beaucoup plus profond que dans les cas précédents, se compose de deux parties: un horizon A0-A1 de 15 à 25 centimètres, semblable à l’horizon correspondant des rankers de pente; un horizon A1-(B), également très humifère, mais constitué d’une matière organique beaucoup plus évoluée, presque entièrement extractible par les réactifs alcalins, ce qui est un caractère d’horizon «spodique» (podzols). Par ailleurs, le fer et l’aluminium sont également abondants, ce qui est un autre indice de «podzolisation chimique» (forte altération des minéraux en milieu très acide); celle-ci intervient donc sans qu’il y ait de différenciation tranchée des horizons par migration verticale des complexes organo-minéraux, comme c’est le cas dans les véritables podzols. Le profil reste uniformément noir.ClassificationL’abondance des complexes organo-minéraux, à base d’oxydes de fer et d’aluminium très rapidement insolubilisés au sein de l’horizon A1B, proche de la surface, permet de rapprocher les rankers cryptopodzoliques des andosols formés sur matériau volcanique, qui offrent un horizon de même type, mais où l’aluminium joue le rôle dominant; ils sont rangés par beaucoup d’auteurs dans une classe particulière, désignée par l’expression: «sols peu différenciés humifères désaturés» (Duchaufour, 1994).Utilisation et mise en valeurIl est difficile de donner une vue d’ensemble des possibilités d’utilisation des rankers. Les rankers de pente des étages montagnards humides peuvent néanmoins être caractérisés par leur faible fertilité et leur manque de profondeur; l’absence de complexe argilo-humique oblige les racines à puiser les cations directement aux dépens des minéraux en cours d’altération; les pertes de cations à l’état soluble, intervenant le long des pentes, sont élevées; les colluviums humifères, situés en contre-bas, bénéficient au contraire de l’apport des éléments solubilisés et entraînés le long des pentes situées en amont. Le contraste est grand entre les forêts de haut de pente sur ranker superficiel et celles qui sont situées en bas de pente, sur les colluviums profonds à humus actif: les premières ont une végétation chétive et des fûts courts, alors que les secondes sont très bien développées et offrent une forte productivité.Les rankers alpins, souvent brunifiés, sont caractérisés par la pelouse alpine, formation particulière des alpages d’été; un pâturage modéré entretient cet équilibre biologique souvent précaire, se détruisant soit par érosion si le pâturage est excessif, soit du fait de l’invasion de la lande alpine s’il est livré à l’abandon.Les rankers cryptopodzoliques sont occupés par des pâturages généralement très médiocres: le cycle de l’azote est peu favorable à la nutrition azotée; l’aluminium assimilable, trop abondant, exerce une action toxique sur les racines de certaines plantes et nuit à la nutrition en phosphore; enfin, l’insuffisance des bases (calcium, magnésium, potassium) est notoire dans ce type de sol; l’enrésinement par l’épicéa ne peut réussir qu’après fertilisation intensive comportant surtout des apports d’azote et de phosphore.
Encyclopédie Universelle. 2012.